Matcha : quand le Japon préserve ce que la Chine a abandonné

Il y a plus de mille ans, le matcha était déjà une boisson prestigieuse en Chine. Aujourd’hui, c’est au Japon qu’il s’est transformé en art de vivre, ritualisé, exporté, admiré — tandis que la culture du matcha dans son pays d’origine s’est largement estompée. Plongeons dans cette trajectoire fascinante, faite de déclins, de redéveloppements, et de succès mondiaux.


Origines et disparition en Chine

  • XIIᵉ–XIIIᵉ siècles : le moine Eisai ramène de Chine au Japon non seulement des graines de thé mais aussi la tradition du thé en poudre (tencha / matcha sous sa forme première). Son traité Kissa Yōjōki pose les bases idéologiques : le thé comme remède, comme éveil intérieur. MATCHA NOTE
  • Dès la dynastie Yuan (1271-1368), cependant, ce mode de consommation de thé en poudre commence à décliner en Chine. Avec le temps, l’infusion de feuilles entières (méthode “sencha-ho” ou équivalente) remplace le tencha comme méthode dominante. MATCHA NOTE
  • Le thé en poudre reste dans les mémoires, mais la pratique, la culture rituelle, le cérémonial, disparaissent quasiment en Chine continentale. Le matcha est devenu quelque chose d’“introduit” par le Japon dans l’imaginaire moderne, plus qu’un art vivant local. MATCHA NOTE

Règne, transformation et essor au Japon

  • Au Japon, le matcha ne se contente pas de survivre : il s’épanouit. Des régions comme Uji (Kyoto), Yame, Nishio, Shizuoka, Fukuoka développent des techniques de culture (ombrage, qualité du sol, soin des feuilles, broyage) uniques qui donnent au matcha japonais sa finesse, son umami, sa palette aromatique. MATCHA NOTE+2Perfect Daily Grind+2
  • L’esthétique japonaise du wabi-cha, la cérémonie du thé (chanoyu), Sen no Rikyū, etc., importent une dimension spirituelle, esthétique, sociale — bien plus que la simple consommation. Le matcha devient partie intégrante de l’identité culturelle japonaise. MATCHA NOTE
  • Ces dernières années, la demande mondiale explose : matcha pour boissons à la mode, desserts, “lattes”, cosmétiques, etc. Le Japon vit une forte augmentation de production, bien que la consommation domestique de thé vert ordinaire baisse. The Guardian+4The Japan Times+4Perfect Daily Grind+4

Les défis actuels : entre succès global et tension intérieure

  • Rareté et hausse des prix : À Uji, Kyoto, etc., les récoltes de tencha (la matière première du matcha) subissent stress climatique, chaleur extrême, vieillissement des terroirs. Certaines régions rapportent des baisses de rendement importantes. Financial Times+2The Japan Times+2
  • Le prix des matchas “grade cérémonial” a fortement augmenté. Certaines entreprises, japonaises, imposent des quotas, limitent les ventes, renégocient les infrastructures (usines de broyage, transformation) pour répondre à une demande internationale pressante. The Japan Times+2AInvest+2
  • Le Japon souffre aussi d’un déficit de main-d’œuvre agricole : population vieillissante, peu de successeurs, diminution des exploitations de thé vert traditionnel. Cela complique la montée en volume de la production de matcha. The Japan Times

Que fait la Chine aujourd’hui ? (Renaissance partielle mais différences)

  • En Chine, des régions comme le Guizhou, et en particulier le comté de Jiangkou, se réapproprient la culture du matcha. Jiangkou a vendu plus de 1 200 tonnes de matcha en 2024, pour une valeur dépassant 300 millions de yuans. People’s Daily Online
  • Mais, même si la production augmente, les standards ne sont pas encore uniformes avec ceux des producteurs japonais. Les techniques traditionnelles japonaises (ombrage, broyage à la meule, culture de la qualité, cérémonial) restent souvent supérieures dans l’imaginaire et sur certains marchés. Perfect Daily Grind+1

Conclusion : ce que cela signifie pour l’avenir

Le matcha, dans sa version la plus raffinée, est aujourd’hui au carrefour d’un paradoxe : un patrimoine culturel fort et précieux, mais soumis à des pressions extrêmes — du marché, du climat, des attentes. La Chine, berceau historique, se bat pour revenir dans la course, mais c’est le Japon qui continue de définir les standards, aussi bien techniques que culturels.

Pour les amateurs, les curieux ou les professionnels aujourd’hui, cela veut dire :

  • Privilégier la qualité : terroir, producteurs réputés, méthode de fabrication.
  • Offrir des histoires vraies : raconter pourquoi une récolte est rare, comment elle est cultivée, ce qui rend un matcha “cérémonial”.
  • Être conscient des limites : le boom mondial ne pourra pas gommer instantanément les contraintes rurales, climatiques, humaines, culturelles.

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